Histoire contemporaine : Jean-Jacques Dumur

À l'heure de la commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale, un événement exceptionnel traverse le monde de la réflexion historique. Un passionné, Jean Jacques Dumur, ancien militaire de carrière et chercheur opiniâtre, dévoile un manuscrit inédit de Philippe Pétain sur la Grande Guerre. Cette «histoire-bataille» que le maréchal Pétain fait de la guerre de 1914-1918 est l'oeuvre d'un officier supérieur peu enclin à livrer ses états d'âme. Le livre, sobrement intitulé La Guerre mondiale 1914-1918, écrit de la main du Maréchal entre 1920 et 1929, constitue une pierre essentielle pour l'édification de notre mémoire collective.
L'historien Marc Ferro, spécialiste unanimement reconnu du maréchal Pétain, introduit le volume par un avant-propos qui resitue ce récit chronologique.
Jean Jacques Dumur nous raconte quant à lui, de manière précise et parfois rocambolesque, les mille péripéties qu'il a vécues pour que ce manuscrit, trouvé dans une valise poussiéreuse, soit enfin publié.
Jean-Jacques Dumur, ancien officier de l'armée, a découvert il y a six ans un manuscrit sur la Première Guerre mondiale. Il est persuadé qu'il s'agit d'un texte de la main du Maréchal…

"Je me définirais comme un grand chanceux!" Jean-Jacques Dumur, 62 ans, raconte la découverte qui "a changé sa vie". Ravi qu'on en parle "enfin". En 2006, dans un village voisin, alors qu'il aidait à trier des documents ayant appartenu à un maçon italien, il tombe sur un manuscrit rangé au fond d'une valise : 350 pages, 77 croquis et plans de bataille, intitulé "La Guerre mondiale 1914-1918". "J'ai commencé à le feuilleter, assis par terre, se souvient cet ancien officier, passionné d'histoire militaire. C'était d'une telle qualité, avec des détails si précis, que j'ai tout de suite imaginé un officier." Commencent six années de recherches pour tenter de démontrer que son auteur n'est autre que… Philippe Pétain.
"J'ai pratiquement mené une enquête policière", sourit cet habitant d'Aventignan, dans les Hautes-Pyrénées. Pendant deux mois, "l'enquêteur" consulte les archives, compare l'écriture du manuscrit avec celle du maréchal. "Je travaille dans le dessin, explique le retraité, qui enseigne la peinture dans des associations. J'ai l'habitude d'analyser les gestes graphiques, j'ai tout de suite trouvé des similitudes."
D'abord, il cherche à valider l'existence d'un tel document… Il en trouve la trace dans une correspondance de 1929, évoquant la brouille entre Pétain et de Gaulle, un de ses porte-plume de l'époque : "Ils préparaient un livre ensemble, explique Jean-Jacques Dumur. Philippe Pétain s'était réservé la partie 1914-1918. Mais suite à leur dispute, le maréchal n'a pas donné suite, on n'a plus entendu parler de cette étude."
Comment expliquer, ensuite, que le "manuscrit passe de la bibliothèque de Pétain à la modeste étagère d'un ouvrier italien?" Le cheminement reste mystérieux… Une chose est sûre : le maçon italien a travaillé dans la région de Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes) où le maréchal possédait une villa. D'où l'hypothèse avancée par Jean-Jacques Dumur : le document aurait été mis à l'abri là-bas vers 1944-1945, puis troqué en échange de travaux… ou volé.
"Mal reçu à Paris"
Voilà pour la traçabilité, reste à apporter des preuves. "Là, c'est le parcours du combattant… comme Pétain", s'exclame Liliane Dumur, l'épouse de Jean-Jacques. "Ma plus grande supportrice", salue ce dernier, qui raconte les nuits à étudier le manuscrit, les allers-retours à Paris pour consulter les archives, les contacts difficiles avec les spécialistes… "Les experts des salles de vente parisiennes m'ont très mal reçu, voire pas reçu du tout, confie-t-il. Je souffrais du syndrome du 'petit provincial niais et inculte!'"
Mais, après vingt-huit ans d'armée, cet homme – qui s'intéresse exclusivement au Pétain de la Première Guerre mondiale – poursuit sa mission : faire reconnaître ce qu'il considère comme "une pièce majeure du patrimoine". Et tant pis si cela vide son compte épargne : "J'en ai bien eu pour 60.000 euros !" Il finit par faire appel à Marie-Pascale Charbit-Lescat, experte en documents et écritures auprès de la cour d'appel de Toulouse. Dix-sept mois plus tard, celle-ci attribue ce manuscrit "entièrement à la main du maréchal Philippe Pétain".
"Sujet, verbe, complément"
Aujourd'hui, l'original dort dans le coffre-fort d'une banque. Mais une copie numérisée a été versée au Service historique de la défense à Vincennes. "Il ne nous a pas semblé utile d'acquérir ce manuscrit, précise-t-on au ministère de la Défense. Nous n'avons pas la certitude absolue qu'il soit de Pétain. Et il n'a pas grande valeur historique : il présente une analyse très classique de la Première Guerre mondiale et s'apparente plutôt à un manuel d'instruction."
Peu importe, le "trésor" de Jean-Jacques Dumur a fini par être médiatisé. "Un historien m'a téléphoné hier pour le consulter", se félicite-t-il. Marc Ferro, qui vient de publier Pétain en vérité (Taillandier) a pu en lire quelques extraits : "Je présume que ce document est authentique. Il semble s'agir d'une histoire complète de la guerre, essentiellement sous ses aspects militaires, de la Marne au Cameroun. On y retrouve bien cartes et croquis minutieusement tracés à la main, et le style de Pétain, surnommé “Précis le sec” : un sujet-un verbe-un complément. Ce n'est pas du de Gaulle… Mais dans les années 1920, Pétain ressent le besoin d'expliquer sa part dans la victoire de 1918. Car s'il est, pour les soldats, le héros de Verdun, il ne l'est pas aux yeux des dirigeants. Derrière cet exposé militaire, le manuscrit donne peut-être à voir ses frustrations…"
À la fin du mois, Jean-Jacques entame une série de conférences pour présenter son "aventure". "Gratuitement", précise-t-il. Mais il a pris contact avec des marchands : "Je serai alors rémunéré. J'ai signé un contrat avec la descendante du maçon." Et il rêve de publier son histoire… Il a déjà le titre : "Authentification d'un manuscrit de Philippe Pétain : chronique d'une galère annoncée".
Source : https://www.lejdd.fr/Societe/Enquete-sur-l-etrange-manuscrit-de-Petain-652248
Rebondissement dans l'attribution certaine du manuscrit "La Guerre Mondiale 1914-1918" au maréchal P.Pétain.
Le mercredi 14 avril 2021, le lendemain des plaidoiries de maitre Trémolet de Villers devant la Cour d'Appel de Paris au sujet des querelles d'experts entretenues depuis 2006 sur l'authenticité du manuscrit, un élément nouveau clos les débats en apportant un élément de preuve quant à cette authenticité.
Les derniers sceptiques enfermés dans leurs certitudes, et ignorant le témoignage (1927)du colonel Laure qui disait que le Maréchal avait écrit une chronique historique, maintenaient que P. Pétain n'aurait jamais pu( manque de temps) ou voulu(par incompétence) écrire un tel pensum entre 1918 et 1925.
Or, un historien Mr Philippe Prévot, qui suit cette affaire depuis 2006, vient de porter à la connaissance de Mr Dumur et de ses avocats un document qui permet de réfuter définitivement ces allégations : C'est un témoignage écrit par un journaliste et essayiste anglais appelé C.à.C Repington.
"Charles à Court Repington , CMG , (29 janvier 1858 - 25 mai 1925), [1] connu jusqu'en 1903 sous le nom de Charles à Court , était un soldat anglais, qui a poursuivi sa carrière en tant que correspondant de guerre influent pendant la guerre de 1914-1918. il est également reconnu pour avoir inventé le terme «Première Guerre mondiale» et l'un des premiers à utiliser le terme « guerre mondiale » en général.
Après la fin de la guerre, Repington rejoignit le personnel du Daily Telegraph et publia par la suite plusieurs livres. Ces œuvres comprenaient La Première Guerre mondiale (1920) et Après la guerre (1922), qui étaient des best-sellers, mais coûtèrent des amitiés à Repington pour sa volonté apparente de rapporter ce que d'autres considéraient comme des conversations privées."
Ainsi, il rapporte qu'au cours de son voyage à Paris en 1919, il rencontra, entre autres autorités politiques et militaires, Poincaré, Clémenceau et les maréchaux dont Pétain. Ce dernier l’a reçu à diner le lundi 9 juin 1919 à Chantilly(il était le conservateur du château). Après le diner, le Maréchal lui accorda un long entretien.
Pendant cet échange, Pétain lui a déclaré travailler sur une chronique détaillée de la guerre et lui a montré un travail qui correspond dans la description qu’il en fait (présentation, fond et esprit)tout à fait à notre manuscrit.
Voilà ce que Repington écrit page 626 de son ouvrage, La première guerre mondiale(1914-1918) Notes et Souvenirs - Titre II - Payot-Paris 1924:
" Le Maréchal a terminé tous les règlements pour l'après guerre; il met également la dernière main à un historique très documenté des opérations des armées françaises, historique dont il me montra une partie déjà dactylographiée. Ce travail me parut admirablement compris: le récit en est clair, concis et complété par un exposé des raisons qui motivèrent chaque manœuvre; aucun commentaire d'ordre général, aucune critique. Je dis à Pétain combien il serait à souhaiter que nous eussions au War Office un compte rendu exact de la tache accomplie par les armées françaises: il me proposa alors de m'installer pendant six mois auprès de lui afin d'étudier tout à mon aise son propre travail et d'en extraire ce que je jugerais utile pour nos officiers. L'offre est séduisante: j'y réfléchirai. Son état major a fait une énorme besogne en mettant sur pied dans un court laps de temps un pareil mémoire; il sera terminé dans une quinzaine de jours. Les travaux analogues fournis par Foch, Joffre et Nivelle compléteront heureusement l'histoire militaire de la guerre du coté français."
Réflexions:
1- l'analyse et l'étude descriptive du texte du manuscrit(par Mme Lescat et Mr de Coligny), colle mot à mot a celle de Repington;
2- Notons l'absence de commentaire et de critique qui donne ce ton impersonnel au texte du manuscrit et explique l'absence du "je". Nous retrouvons là aussi une caractéristique originale du texte du manuscrit quant a la forme;
3- Repington relève aussi que Pétain fait une chronique complète de la guerre menée par les armées françaises et non par l'armée de terre exclusivement. Il inclue donc dans sa chronique le rôle joué par la marine et les différents corps expéditionnaires sur tous les théâtres d'opérations.
4- Repington consolide les hypothèses émises par Mr Dumur sur le fait que le Maréchal avait disposé d'une armée de rédacteurs dont les missions étaient de collecter toutes les données et de préparer des fiches. Le Maréchal, comme à son habitude, reprenait ces notes, les recopiait de sa main, en polissait la syntaxe pour obtenir finalement un travail marqué du "style Pétain" bien connu des biographes et historiens.
5-Constatant l'intérêt que suscitait son ouvrage, on comprend que le Maréchal ait voulu faire relier ses écrits pour les conserver et les utiliser comme banque de données. Il utilisera cette banque de données en 1939 quand Il rédigea une déclaration préalable à la création du Cours de Défense Nationale à l’Ecole Libre des Sciences Politiques, qui fut publiée dans le premier numéro de la Revue de la Défense Nationale.
Dans cette revue au sommaire du n° 1 de mai 1939, il est possible de trouver un texte du Maréchal Pétain intitulé : « Le devoir des élites dans la défense nationale ».
Dans ce texte, ont été repris des détails et des précisions sur la guerre sous-marine qui sont dans le manuscrit. Ce qui prouve que l'auteur du texte publié en 1939 et celui du manuscrit est une seule et même personne.
/image%2F4577849%2F20210416%2Fob_931116_dumur-1.jpg)
/image%2F4577849%2F20210416%2Fob_39112e_d2.jpg)
/image%2F4577849%2F20210416%2Fob_17cf6a_d3.jpg)