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14 Dec

Historienne : Catherine Virlouvet

Publié par Dominique Rech  - Catégories :  #Histoire antique, #Historienne, #Rome antique

Source : https://aibl.fr/c-francais/virlouvet-catherine/

Catherine Virlouvet (née le 13 février 1956) est une historienne française, professeure d'histoire économique et sociale de Rome. Elle est directrice de l'École française de Rome de 2011 à 2019, première femme nommée à ce poste.

Biographie
Elle est ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses (1976) et agrégée d'histoire. Elle soutient en 1986 une thèse d'histoire romaine intitulée Tessera frumentaria : les procédures de distribution du blé public à Rome de la fin de la République au Haut-Empire1. Membre de l'École française de Rome (1983-1986), elle a été maître de conférences d'histoire ancienne à l'université de Rouen puis directrice des études de la section antiquité de l'École française de Rome (1993-1999). Elle est nommée professeure d'histoire ancienne à l'université d'Aix-Marseille en 1999, et dirige l'École française de Rome de 2011 à 2019. Élève de Claude Nicolet, elle est spécialiste de l'histoire économique et sociale de Rome à la fin de la République et sous le Haut-Empire.

Publications
Ouvrages
Tessera frumentaria. Les procédures de la distribution de blé public à Rome, Rome, École française de Rome, 1995.
Famines et émeutes à Rome des origines de la république à la mort de Néron, Rome, École française de Rome, 2001.
La plèbe frumentaire dans les témoignages épigraphiques : essai d’histoire sociale et administrative du peuple de Rome antique, Rome, École française de Rome, 2009.
(Co-direction) Nourrir les cités de la Méditerranée. Antiquité-Temps modernes, avec B. Marin, Maisonneuve & Larose, Maison méditerranéenne des sciences de l’homme, Paris, 2004, 894 p. (ISBN 2-7068-1720-8).
Catherine Virlouvet (dir.), Nicolas Tran et Patrice Faure, Rome, cité universelle : De César à Caracalla 70 av J.-C.-212 apr. J.-C, Paris, Éditions Belin, coll. « Mondes anciens », 2018, 880 p. (ISBN 978-2-7011-6496-0, présentation en ligne [archive]).
Catherine Virlouvet (dir.) et Claire Sotinel, Rome, la fin d'un empire : De Caracalla à Théodoric 212 apr. J.-C - fin du Ve siècle, Paris, Éditions Belin, coll. « Mondes anciens », 2019, 687 p. (ISBN 978-2-7011-6497-7, présentation en ligne [archive]).
Catherine Virlouvet (dir.) et Stéphane Bourdin, Rome, naissance d'un empire : De Romulus à Pompée 753-70 av. J.-C, Paris, Éditions Belin, coll. « Mondes anciens », 2020, 796 p. (ISBN 978-2-7011-6495-3).
Articles
« Les denrées alimentaires dans les archives des Sulpicii de Pouzzoles », Cahiers Glotz, XI, 2000, p. 131-149.
« La tribu des soldats originaires de Rome », MEFRA 113, 2001, 2, p. 735-752

Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Catherine_Virlouvet

 

Rome, naissance d’un empire – De Romulus à Pompée (753-70 av.J.-C.)
Catherine Virlouvet (direction) et Stéphane Bourdin
Editions Belin ; collection "les mondes anciens" , 2021, 800 pages, 49 euros
 Christine Valdois |  11 Août 2021 | Des Étrusques à la République, Mondes romains antiques | 0  |     

Rome, naissance d’un empire – De Romulus à Pompée (753-70 av.J.-C.)
Ce neuvième volume (sur 16 ouvrages prévus) de l’excellente collection des Mondes Anciens aux Éditions Belin, dirigée par Joël Cornette, est le premier volet d’une trilogie sur Rome, dirigée par Catherine Virlouvet, professeur émérite de l’Université d’Aix-Marseille, historienne spécialiste du monde romain des derniers siècles. Professeur d’histoire romaine à l’Université Lumière Lyon 2, Stéphane Bourdin s’intéresse particulièrement à l’organisation sociale, territoriale et politique des peuples de l’Italie préromaine et la République romaine.

Onze chapitres présentent les dernières recherches sur la première période du monde romain, de la fondation de l’Urbs à la fin de la République, nourris de plus de deux cent documents iconographiques largement commentés ainsi que de nombreuses cartes. Ils sont suivis du traditionnel atelier de l’historien propre à cette collection, d’une vingtaine de pages de repères chronologiques, d’un glossaire et enfin d’une bibliographie restreinte.

Les propos liminaires expliquent le choix chronologique des rédacteurs. Si 753 s’impose par les auteurs antiques qui affirment que Rome a été fondée par Romulus, la date de 70 ne va pas de soi. Pourtant cette dernière marque le doublement du nombre de citoyens romains après l’intégration de tous les alliés italiens. Par l’ouverture du corps civique, les Romains affirment leur prétention à l’universalité et à l’éternité de leur domination. Le statut de civis romanus reste un privilège jusqu’à l’édit de Caracalla même si Rome intègre rapidement les élites des vaincus, conséquences de l’extraordinaire expansion territoriale. Sa politique d’assimilation diffère des autres cités antiques. Les perspectives d’enrichissement alimentent la volonté de conquêtes. La domination de vastes contrées offre à l’économie de Rome et aux régions conquises, des possibilités de développement considérable, ainsi qu’une évolution politique de la monarchie à la République.

Chapitre 1 : la naissance de Rome
L’archéologie a montré que le site a été occupé depuis le paléolithique. Mais doit-on considérer que l’on est à la genèse de Rome ? Depuis le XIXe siècle, on a tendance à considérer les récits primitifs comme des légendes reconstruites par les écrivains anciens. L’histoire de Rome peut être comparée à celles des cités étrusques ou grecques. Grâce aux fouilles récentes, il est possible de retracer les  premiers moments de Rome.

Pourtant insalubre et inondable, le site est choisi par son nœud naturel de communication, un passage facile entre les deux rives du Tibre permettant de relier la Campanie et l’Étrurie. Plus au Nord, Véies connaît un semblable intérêt.

Rome est à l’origine d’une communauté latine parmi d’autres mais elle se démarque par la rapidité de son développement.

Les principales cités du Latium sont occupées depuis le XIVe siècle. On parle de culture archéologique. A la fin de l’âge du bronze, la région voit une croissance démographique qui entraine le développement de communautés villageoises agropastorales de culture latiale (incinération des morts dans les fameuses urnes cabanes). Au début de l’âge du fer, une concentration plus grande de la population permet de parler de centres proto-urbains. Certaines tombes se distinguent par la richesse de leur mobilier (vases importés du monde mycénien ou phénicien). Une aristocratie clanique apparaît dans de véritables cités comme Tivoli ou Rome. Au VIIIe siècle, des colons grecs s’installent au large de Naples amenant l’écriture alphabétique qui se diffuse rapidement. En Etrurie, se créent des cités-Etats d’importances : Tarquinia, Vulci…

A partir de quand, peut-on qualifier de « latins » les populations présentes dans le Latium ? Voilà une question débattue depuis longtemps…

Il semblerait que l’identité latine soit symbolisée par la célébration annuelle de sacrifices accomplis par trente cités en commun en l’honneur de Jupiter Latianis, divinité tutélaire des Latins. Des rites montrent le regroupement autour du Palatin d’une ligue de villages protohistoriques, amorce de la future Rome. Avant la date officielle, fin IXe-début VIIIe, des communautés ont entamé un processus de synœcisme, dont l’histoire commune a déjà commencé.

On connaît les légendes fondatrices de l’Urbs. En réalité, chaque cité du Latium possède ses propres traditions. Élaborées progressivement, certaines légendes ont été forgées dans le monde grec, d’autres à partir d’un vieux fond mythologique italien. Il s’agit de montrer que Rome, puissance émergente, n’est pas une cité barbare.

L’émergence de la ville comme cité-Etat résulte d’un processus graduel entamé dès le Xe siècle attesté par les fouilles archéologiques, qui s’achève au VIIe siècle avec la mise en place de tous les éléments constitutifs de Rome illustrés par sa monumentalisation (pavement du Forum, construction de la Regia (la résidence royale) …).

Chapitre 2 : Les rois de Rome
A partir du VIIIe siècle, Rome se présente comme une ville gouvernée par des rois au sujet desquels se sont développés une infinité de récits et de légendes (voir la théorie tripartite de Dumézil). Récemment, on a tendance à chercher dans les vestiges enfouis une confirmation d’un cadre chronologique des institutions et de l’organisation de la cité. S’il est difficile de se faire une idée précise de cette histoire pendant les premiers siècles, on sait que Rome a connu une évolution similaire aux autres cités du monde grec ou étrusque. En premier lieu, la mise en place de la monarchie institue un roi, l’arbitre entre les différentes familles. Ensuite le régime s’est transformé en tyrannie sous le règne de Tarquin le Superbe (au sens d’orgueil insolent). L’archéologie confirme la chronologie des trois derniers rois.

La croissance exceptionnelle de la cité présage de son destin hors norme. Grande unité urbaine ouverte par son avant-port maritime et son port fluvial sur le commerce méditerranéen, le doublement de sa surface au VIe siècle fait de Rome la ville la plus étendue et la plus peuplée du monde antique. A cette époque, la puissance des Romains devient visible par sa parure monumentale (le forum drainé par la cloaca maxima, le circus maximus, le temple de Vesta, le Curia Hostilia, le Comitium)

Chapitre 3 : La mise en place de la République
Les historiens romains considèrent que la fin de la monarchie se situe en 509 quand Tarquin le Superbe est détrôné par une révolution de palais. Ainsi ce serait établi un régime républicain plus libre avec l’acquisition de droits pour tous les citoyens. Cette fiction historique semble cohérente par rapport à ce qu’ont connu les autres cités. Mais ce chapitre montre une mise en place très progressive du nouveau régime qui s’est forgé dans un climat de fortes tensions internes opposant surtout les plébéiens riches et les patriciens (qui se prétendent les descendants de Romulus), dans un contexte de luttes contre les populations voisines, les Étrusques mais aussi les Latins, les Sabins, les Volsques et les Eques.

Un équilibre est trouvé dans la loi des XII tables datant de 449 et qui correspond à la mise par écrit du droit romain. Si le texte, rédigé sur des tables de bronze et exposé au forum n’est pas conservé, de nombreuses références y sont faites par les auteurs antiques. Chaque table contient un ensemble de formules appartenant à la même thématique. Il s’agit d’un recueil de normes, de lois et de règles de jurisprudence. Cette loi des XII tables met un terme à l’arbitraire des magistrats qui seuls détenteurs des lois avaient connaissance des lois.

Peu à peu la présence des plébéiens s’affirme, discrète mais réelle notamment avec les tribuns militaires à pouvoir consulaire qui sont présents à la tête de la cité.

Chapitre 4 : Rome et l’Italie (Du VIe au milieu du IVe siècle)
Rome, un des principaux centres du Latium, apparaît comme la plus riche métropole. Elle pratique un commerce intensif avec les cités grecques, phéniciennes et étrusques. Elle organise avec les populations des montagnes le déplacement des troupeaux. Les intérêts de la cité dépassent rapidement le Latium voire l’Italie centrale. En témoigne, le traité sur la navigation en mer Tyrrhénienne conclu entre Rome et Carthage vers 509. Les autres populations d’Italie péninsulaire connaissent une évolution semblable. Certaines cités se lancent dans des mouvements d’expansion. Rome ne fait pas exception. Elle entame sa politique de conquêtes (Véies en 396) puis la soumission de Faléries et de Capène en 394. Durant la première moitié du IVe siècle, la cité a fait la démonstration de sa puissance par sa capacité à repousser les raids gaulois, à mener des opérations militaires sur plusieurs fronts (au Nord contre les Étrusques et au Sud et à l’Est contre toutes les populations qui obstruent leur chemin) et enfin à organiser les territoires conquis.

Chapitre 5 : L’acquisition de la primauté en Italie (vers 380 – 264)
Au IVe siècle et au début du IIIe siècle, la République revêt sa forme définitive illustrée par les auteurs classiques comme le Grec Polybe ou Cicéron : le système des magistratures, les circonscriptions de vote des citoyens et les assemblées (comices centuriates et tributes), l’importance prégnante du sénat. Un certain équilibre est atteint entre les plébéiens et les patriciens qui s’unissent pour former un nouveau groupe dirigeant, la noblesse (nobilitas). Cette dernière contrôle les rouages politiques de la libera res publicas romaine, un régime aristocratique ou oligarchique. Ainsi peut se poursuivre la politique d’expansion engagée au siècle précédent. Elle permet à Rome de soumettre l’ensemble de l’Italie péninsulaire à son autorité : la soumission des Latins (354 –338), l’assaut de l’Italie centrale contre les Samnites et les Étrusques, la prise de Tarente et la défaite de Pyrrhus. Au milieu du IIIe siècle, toutes les communautés politiques de l’Italie péninsulaire sont soumises à Rome. Les cités transformées sont engagées dans un système d’alliance et contribuent à l’effort de guerre romain en fournissant des troupes auxiliaires.

La nature de l’expansionnisme romain a longtemps été discutée par les historiens. Aujourd’hui, la thèse de « l’impérialisme défensif » est remise en cause. Les Romains n’ont pas de plan de conquête mais utilisent les distensions internes et les élites profitent ainsi de la politique agressive et de l’enrichissement de la cité. Sous le dictateur Marcus Furius Camillus, l’armée est réorganisée : les soldats sont soldés (tributum) pour les frais d’équipement. Ce dernier est réformé (bouclier ovale léger (scutum) et javelot (pilum) à la place de la lance).

Sur les territoires conquis, sont installées des colonies de citoyens romains ou des colonies latines reliées par des voies romaines restaurées ou construites en étoile à partir de la Ville.

Chapitre 6 : Le duel entre Rome et Carthage et les débuts de l’impérialisme romain (264 – 202)
A peine les dernières populations italiennes vaincues, le sentiment de ne pas contrôler les couloirs maritimes, pousse les Romains à ouvrir les hostilités contre les Carthaginois.

Au préalable, est présentée Carthage, la puissance maritime en Méditerranée occidentale. Venant des cités-États du Levant, les Phéniciens s’installent sur la côte méditerranéenne africaine, à Utique, puis à Carthage qu’ils fondent à la fin du IXe siècle ou au début du VIIIe siècle. Cette ville nouvelle mêle des émigrés et des populations autochtones que les Grecs appellent des Libyques. Elle devient une cité considérable, contrôlant un territoire fertile permettant une production riche (blé, vin huile…). La civilisation punique se caractérise par un haut degré de développement culturel et économique, visible dans l’urbanisation. Son organisation politique est peu connue, sans doute proche d’une oligarchie après une monarchie plus ancienne.

La puissance de Carthage s’est étendue dans l’arrière-pays où les peuples vaincus acceptent de livrer des troupes auxiliaires. Les Numides fournissent des cavaliers redoutables et les Libyques des troupes montées légères. Les Carthaginois recrutent des mercenaires et combattent avec des éléphants venant essentiellement d’Asie. Depuis le VIe siècle, Carthage signe des traités avec les Romains. Elle lance des voyages d’exploration au-delà des colonnes d’Hercule (le détroit de Gibraltar) vers les côtes africaines et vers l’Europe.La flotte de guerre punique est exceptionnelle. Durant le IVe siècle, elle comprend entre 200 à 270 vaisseaux, soit 60 000 et 80 000 rameurs.

Pour les Romains, les guerres puniques correspondent à la poursuite des conquêtes déjà engagées comme l’a souligné Polybe, l’historien grec. Les Romains prétendent se défendre contre l’impérialisme ennemi.

L’organisation militaire de Rome lui permet d’intervenir rapidement sur tous les théâtres d’opérations. Le système de recrutement dans l’armée s’est modifié dans les années 280, le niveau de fortune minimal étant abaissé, ce qui augmente considérablement les capacités de mobilisation.

Les cités grecques, notamment Massalia, forment un troisième partenaire sur les routes commerciales de la Méditerranée occidentale, toujours prospères malgré la prise de contrôle des Romains de la Grande Grèce. En Sicile, Syracuse impose sa domination avec les tyrans (Denis Ier, Hiéron II).

Sur terre comme sur mer, la  première guerre punique (264 – 241), se déroule en Sicile où les Romains ont voulu « secourir » les Mamertins dans le détroit de Messine. Les vingt-trois années de conflit ont montré la capacité de Rome à maintenir huit légions en arme et à reconstituer sa flotte avec une rapidité extraordinaire.  En s’emparant de la Sicile, elle acquiert une des principales zones céréalière de Méditerranée, un immense butin et une grande quantité d’esclaves. Les conditions de paix sont rudes (perte de terres, tribu de 3 200 talents, interdiction de naviguer dans les eaux italiennes et de recruter des mercenaires dans la péninsule) pour les Carthaginois qui doivent supporter des révoltes de mercenaires qu’ils ont du mal à mater.

Ce premier conflit donne à Rome le contrôle sur des régions hors d’Italie, en Sicile, en Corse et en Sardaigne. Pour surveiller ces territoires, les Romains désignent des magistrats chargés de les gouverner. Leur sphère de compétences est appelée « provincia ». Par métonymie, le mot s’étend au territoire où s’exerce l’autorité du magistrat. On parle alors des provinces de Sardaigne, de Corse et de Sicile dirigées par des gouverneurs aux pouvoirs très étendus.

En parallèle d’opérations contre les Gaulois et l’Illyrie, les Romains suivent la progression des généraux carthaginois.

Une seconde guerre (218-202) affecte le pourtour de la Méditerranée occidentale (Espagne, Italie, Sicile et Afrique). Parti d’Espagne conquise par son père, le fameux Hannibal est victorieux à Cannes en Apulie le 2 août 216. Évitant les batailles rangées dans la péninsule, les Romains réussissent à user les troupes carthaginoises et à isoler Hannibal qui est rappelé en Afrique. Scipion dit l’Africain le poursuit et impose une défaite cuisante à Zama en 202. Rome impose à Carthage de renoncer à l’Espagne, de livrer sa flotte, ses prisonniers, ses éléphants et  un lourd tribut.

Rome sort profondément transformée du conflit. Elle a pu montrer la solidité de son système militaire, de son système d’alliance et de l’efficacité de ses institutions. Cependant les conséquences démographiques ont pesé longtemps : plus de 100 000 hommes sont tombés pendant les conflits avec Carthage. Les tensions et les rivalités politiques restent fortes au sein de la nobilitas qui utilise la gloire et la fortune acquise lors des campagnes militaires. Certains ambitieux n’ont pas suivi les étapes de la carrière des honneurs comme Scipion et l’image du général victorieux émerge pour devenir plus manifeste durant les guerres du IIe siècle.

Chapitre 7 : La conquête du bassin méditerranéen (202 – 133)
Après la deuxième guerre punique, la reprise se fait rapidement et en moins de 70 ans, Rome poursuit son expansion dont voici quelques étapes : le rétablissement de la domination romaine en Italie et en Cisalpine, la difficile implantation de Rome en Espagne divisée en deux provinces, la deuxième guerre de Macédoine et le conflit contre le royaume séleucide, la guerre de Persée et enfin la troisième guerre punique avec la destruction complète de Corinthe et de Carthage en 146 dont le territoire devient la province d’Afrique.

Chapitre 8 : La République mise à mal (146 – 100)
Pour le demi-siècle envisagé dans ce chapitre, on ne manque pas de sources, souvent plus tardives. Pourtant cette période est difficile à saisir. Les Romains ont eu la sensation que l’équilibre des institutions s’est rompu. L’historien Salluste date cette impression de crise dès 146 à la chute de Carthage. Les raisons véritables de cette rupture sont débattues parmi les spécialistes.

La société romaine s’avère en pleine évolution. Les élites, les cadres de l’armée, les gouverneurs de provinces s’enrichissent et profitent de l’ager publicus, les territoires pris aux vaincus. Les campagnes se transforment par l’affirmation d’une agriculture spéculative née au IIIe siècle et développée ensuite, dans un mode de production esclavagiste sans que l’on sache vraiment la part des esclaves dans la population (peut-être un quart voire un tiers de la population italienne). Suivant les régions des révoltes ont surgi comme en Sicile.

Il semblerait qu’il y ait eu des difficultés de recrutement dans l’armée (selon Polybe). Est-ce l’appauvrissement de catégories modestes ou la peur d’affronter des combats difficiles ? Des recherches récentes nuancent ces propos. Ces épisodes seraient dus à des tensions au sein de la classe politique. On peut noter aussi les problèmes d’approvisionnement suivant les lieux qui entraînent la cherté des céréales.

Des évolutions importantes, au niveau politique, sont la conséquence des conquêtes et de la perception des conséquences sociales. La classe politique se transforme. Les magistrats doivent rendre compte de leurs actions politiques et peuvent même être traduits en justice. Les tribuns de la plèbe reprennent de l’importance, comme défenseurs des droits des citoyens. Ainsi deux lois tribunitiennes introduisent le vote à bulletin secret. Un courant se développe alors qui estime que le peuple doit participer plus activement à la vie politique. Il s’incarne dans l’action des Gracques.

L’année 133 du tribunat de Tiberius Gracchus, est perçue comme une rupture dès l’Antiquité. L’épisode gracchien est aujourd’hui aussi considéré comme un nœud de l’histoire de la République. Les deux sources complètes, Appien et Plutarque sont plus tardives. Elles sont partisanes et font débat parmi les historiens.

Élu tribun de la plèbe, Tiberius Gracchus propose une réforme agraire qui consiste à redistribuer une partie de l’ager publicus aux citoyens les plus pauvres grâce à un triumvirat agraire élu par le peuple. Tiberius rencontre une vive opposition du sénat. Il meurt alors dans des circonstances troubles. Son cadet Caius lance une réforme plus ambitieuse, un véritable programme. Reprenant les dispositions de la loi agraire de l’aîné, Caius ajoute une loi frumentaire qui fixe un maximum pour le prix du blé acheté dans Rome, inférieur à celui du marché libre, afin de tenter de résoudre les difficultés d’approvisionnement de la Ville. Une autre loi met à la charge du trésor l’équipement des soldats. L’ordre équestre devient un troisième acteur de la vie politique puisqu’il fait partie du tribunal chargé de juger les magistrats sortis de charge. Désavoué notamment par le sénat, Caius et ses partisans sont mis à mort.

Les années qui suivent l’échec des Gracques voient reprendre les guerres extérieures (contre Jugurtha) et la cristallisation de la vie politique entre les populares et optimates. Elles conduisent à l’affirmation du pouvoir personnel comme celui de Marius, général populaire, sept fois consul et l’inventeur de l’isoloir. Ce dernier incarne la virtus de l’homme nouveau et la défense du peuple contre les abus de l’oligarchie politique. Jamais un général n’a atteint une telle gloire.

Chapitre 9 : Trente années qui changèrent Rome (99 – 70)
Les premières décennies du premier siècle de la République sont marquées par des conflits d’un nouveau genre et des évolutions qui ont fortement modifié le paysage politique. Les changements se portent sur la péninsule italienne avec les soulèvements des alliés italiens appelés la guerre sociale qui conduit à l’intégration des élites dans le corps civique et son doublement (910 000 hommes). Il s’agit là d’un changement d’échelle et une étape dans l’universalisme de la cité romaine.

Des combats s’apparentent à des guerres civiles. Actif pendant la guerre sociale, Sylla, commence la lutte contre Mithridate, roi du pont. Afin de se débarrasser de ses ennemis, il pratique la proscription qui consiste à établir une liste d’ennemis publics à éliminer. Les Romains ont été durablement marqués par ce procédé qu’ils condamnent unanimement. Les massacres ont traumatisé l’aristocratie sénatoriale sur plusieurs générations.

Il inaugure un pouvoir d’un genre nouveau, la dictature constituante. Il fait voter la loi Valeria créant un dictateur pour écrire des lois et donner des fondements à la République. Les réformes ont été très nombreuses et Sylla abdique la dictature de son plein gré en se retirant des affaires. Les historiens sont divisés sur les motivations de Sylla. Aucun politique qui lui a succédé ne revendique son héritage.

Les troubles intérieurs et extérieurs montrent les années suivantes que la restauration syllanienne est un échec et que la dictature n’a rien réglé. On assiste aux derniers feux de la guerre civile, au retour de Mithridate, aux exactions des pirates et à la révolte servile conduite par Spartacus.

L’année 70 marque définitivement des ruptures déjà annoncées. L’arrivée au consulat, conjointement, de Crassus et de Pompée marque l’échec des réformes de Sylla. Le sénat reste à la merci d’un coup de force des généraux vainqueurs.

En cette fin de chapitre, l’auteur pose la passionnante question de l’interprétation des sources liées au contexte troublé de leurs auteurs.

Chapitre 10 : La religion et la cité de Rome
On a trop tendance à calquer la religion romaine sur celle des Grecs. Ces pages montrent l’importance de la religion romaine dans le fondement de la vie publique. Elles détaillent les rites et les auspices à Rome ; et l’évolution du système religieux pendant les siècles concernés.

Chapitre 11 : De la cité-État à l’ « Empire-monde »
Les mutations de l’économie romaine

Les sept siècles couverts par cet ouvrage correspondent à l’extension de l’économie d’échanges, le développement du capital commercial et les transformations d’une agriculture tournée davantage vers le marché. L’historien Jean Andreau parle d’« économie-monde », expression utilisée par Fernand Braudel. Ce chapitre présente les sources et les débats qui concernent l’économie du monde romain, puis les évolutions en fonction des siècles traversés.

Les deux derniers chapitres intégrés à l’atelier de l’historien permettent de comprendre « la fabrique de l’histoire »

Inutile d’insister sur l’intérêt de cet ouvrage remarquable pour les professeurs d’histoire. Clair, précis, d’une lecture plaisante, ce manuel aborde les questions que se pose le spécialiste comme le néophyte sur la pérennité de la domination romaine. Les raisons de la réussite de l’expansion de ceux qui prétendent à l’universalité constituent le fil rouge du questionnement des trois volumes de la collection consacrés à Rome.

Source : https://clio-cr.clionautes.org/rome-naissance-dun-empire-de-romulus-a-pompee-753-70-av-j-c.html

Rome, cité universelle : de César à Caracalla : 70 av. J.-C.-212 apr. J.-C
C. Virlouvet, P. Faure, N. Tran
Belin, 2018, 871 p., 49 €
 Emmanuel Zareie, Guillaume Rageau |  17 Juil 2018 | Des Étrusques à la République, Le Haut-Empire | 0  |     

Rome, cité universelle : de César à Caracalla : 70 av. J.-C.-212 apr. J.-C
Venant étoffer l’excellente collection «Mondes anciens» dirigée par Joel Cornette, cette synthèse sur Rome et son empire de la fin de la République et du Haut-Empire. Le titre, évoquant la «cité universelle» énonce clairement l’ambition d’une synthèse à la fois magnifiquement illustrée, riche en contenu et en documents précieux pour l’enseignement comme pour la recherche, et historiographiquement à jour sur les débats récents de l’Histoire romaine. En bon ouvrage sur Rome, c’est un efficace triumvirat qui en eut soin, à savoir Patrice Faure (MCF à Lyon 3, spécialiste des armées romaines et des provinces d’Occident), Nicolas Tran (PU à Poitiers, spécialiste des associations et de l’histoire économique, privilégiant l’entrée par les corporations artisanales), et Catherine Virlouvet (directrice de l’École Française de Rome, spécialiste d’économie alimentaire et des phénomènes frumentaires). L’ouvrage fait le choix, pour suivre la ligne de la collection, d’entrecouper son propos d’encadrés reprenant des textes de l’Antiquité, mais aussi des cartes, dues à Aurélie Boissière (qui a déjà travaillé à l’Atlas Historique de Rome, Autrement, 2013) et des documents iconographiques, tous dûment commentés.

 Comment adapter la République à la domination d’un empire
Ce chapitre commence à donner l’explication du découpage chronologique de l’ouvrage : -70 est en effet la date du premier recensement incluant tous les habitants libres de la péninsule italienne dans la citoyenneté romaine après la longue et coûteuse guerre sociale. Il évoque tout d’abord le poids de Cicéron dans notre connaissance de l’histoire tardo-républicaine, mais aussi dans le maintien de ce système en -63, lorsqu’il réprime la conjuration de Catilina. Par la suite, la montée en puissance du triumvirat César/Pompée/Crassus est évoquée, y compris dans ces aspects symboliques, tels l’identification de Pompée en Orient à Alexandre, faisant de la domination romaine une donnée « à la fois universelle et personnelle», ou l’illustration de César sous sa dictature comme un «nouveau Romulus», refondant les institutions de la cité, et remodelant profondément l’espace de son forum avec un recours à ses symboles familiaux et personnels (Vénus Génitrix, mère des Iulii, en réponse à la Vénus Victrix du théâtre de Pompée). S’arrêtant aux ides de Mars, ce chapitre qui suit strictement le cours des événements pose en filigrane la question de l’adaptation des institutions d’une cité-état italienne au contrôle d’un espace méditerranéen. La réponse est celle d’une improvisation réglée, où les généraux, souvent de rang consulaire, imbriquent leur domination personnelle sur les territoires conquis à la loi républicaine.

 De la République aristocratique au principat d’Auguste
Pour la transition entre -44 et -30 entre République et Principat, l’ouvrage insiste sur son caractère progressif : l’imperium personnel est déjà en germe au cours du dernier siècle d’existence de la République. Se posant d’abord comme vengeur de César et investi de l’imperium militaire, le jeune Octave personnalise ce pouvoir. Au cours de la guerre contre les «tyrannicides» Brutus et Cassius, puis jusqu’à l’escalade finale, un «impossible retour au calme», de la guerre entre César et Marc-Antoine qui aboutit à la défaite d’Actium, cette personnalisation du pouvoir se voit : par l’élaboration de discours littéraires comme iconographique (surtout via la numismatique) sur un pouvoir personnel s’inscrivant dans la gloire de la cité romaine.

Lorsque Octave sort vainqueur à Actium, se pose alors la question du maintien possible d’un pouvoir d’exception en des temps de paix. Débute alors  l’élaboration d’un discours complexe, ou Octave devenu Auguste affirme dans son inscription des Res Gestae Divi Augusti qu’il l’emporte «sur tous en autorité» mais qu’il n’a pas eu «plus de pouvoir que (ses) collègues dans (ses) diverses magistratures», inaugurant pour parler de son pouvoir l’expression de «principat». S’imposant ainsi tout au long de la vie d’Auguste, le pouvoir se cherche une pérennité par la recherche d’un successeur : ses petits-fils décédés successivement, puis son gendre Agrippa associé au pouvoir dès -18. L’ascension finale de son beau-fils Tibère et sa divinisation à sa mort en -14 fondent les bases d’un régime dont la nature a été disputée par l’historiographie, Mommsen jugeant au début du XXe siècle que le pouvoir était partagé entre le «prince» et le Sénat et que le contenu républicain des pouvoirs augustéens assure une continuité. Dans les années 1950, l’anglais Ronald Syme nuance ce propos, disant que l’empire ne se résume pas à un formalisme légal. L’ouvrage commenté prend une position médiane, acceptant la continuité républicaine mais ne niant pas la réalité du monopole du pouvoir par Auguste, qui n’est pas incompatible au fond avec l’état de droit romain, qui peut s’exprimer sous différentes formes telles que la république et le principat.

 Une «Maison pleine de Césars» : le pouvoir romain de 14 à 70
Si la portée du règne des premiers empereurs de la «domus Augusta», famille élargie par adoption de César et Auguste est débattue par des historiens romains excessivement laudateurs ou au contraire hostile, on peut constater leur consolidation du pouvoir augustéen exceptionnel en un pouvoir impérial plus normé. Un danger demeure, celui de la «démesure du pouvoir solitaire», personnalisé par Caligula (37 à 41) puis Néron (54 à 68). Malgré l’avènement par défaut de Claude à la mort de Caligula, l’idée d’une «maison impériale» dans laquelle le tenant du pouvoir princier doit être choisie est acquise auprès d’une aristocratie sénatoriale transformée, dont les nouvelles familles doivent leur ascension aux premiers empereurs.

Claude renforce ce pouvoir du au hasard par l’action, confirmant ainsi une palette de stéréotypes de l’action impériale, militaire ou juridique : conquête de la Bretagne, loi dite des «Tables Claudiennes» réglementant l’accès élargi à la citoyenneté des grandes familles gauloises. Sous son règne se met également en avant un type nouveau de figures, celle du conseiller (pouvant être une femme ou un affranchi) du prince, qu’il parvienne à un pouvoir excessif et à une richesse indécente comme Pallas ou Narcisse, ou qu’il ait l’image du philosophe proche du pouvoir comme Sénèque. Néron assure une rupture en éliminant ses collatéraux de la Domus Augusta : l’assassinat d’abord de sa mère Agrippine, puis celui de deux sénateurs, l’un arrière-petit-fils d’Octavie sœur d’Auguste, l’autre arrière-petit-fils de Tibère, sont exécutés en 62. Cet empereur artiste «dépeuple» si bien la maison impériale qu’en 69, lorsqu’il est renversé et se contraint au suicide, aucun membre de la famille julio-claudienne n’est en mesure de réclamer le pouvoir et un général soutenu par les provinces orientales, Vespasien, l’emporte sur ses trois rivaux à l’empire lors de «l’année des quatre empereurs» en 69.

 L’empire en quête de continuité (69-117)
Ici, l’ouvrage fait un choix particulier, celui de contourner la chronologie traditionnelle : Nerva et Trajan sont ainsi séparés des Antonins suivants et considérés avec les Flaviens. Ces derniers tranchent avec les Julio-Claudiens en rendant le pouvoir héréditaire l’espace de deux décennies et en inscrivant leur règne dans l’espace de Rome : l’éphémère «maison dorée» de Néron est remplacé par le Colisée. Très vite, ils agissent militairement (répression de la révolte de Judée) comme institutionnellement (maintien et renouveau du culte impérial en province) comme leurs prédécesseurs. Domitien alourdit encore le pouvoir personnel de ces nouveaux princes, ce qui provoque son assassinat en 96. Cette fois, on a une «transition réussie» quand se succèdent le vieux sénateur Nerva et le militaire romano-espagnol Trajan. La transmission du pouvoir impérial se fait à nouveau par adoption. Trajan, à l’imitation de Vespasien, s’inscrit dans le répertoire traditionnel d’action de l’empereur, militairement (guerre victorieuse contre les Daces) et spatialement (forum de Trajan avec basilique Ulpia), réussissant là où Domitien avait échoué : imposer un pouvoir personnel sans partage en se comportant en optimus princeps, meilleur des princes, avec un discours rodé mais bienveillant.

Recension de Guillaume Rageau L’équilibre précaire de l’âge d’or antonin
L’idée d’un âge d’or antonin remonte à Gibbon (XVIIIe s.). Pour autant, la succession ne fut pas facile : Hadrien obtient l’empire grâce à sa proximité avec l’épouse de Trajan mais n’est pas désigné publiquement successeur du vivant de ce dernier, qui facilite pourtant sa carrière sénatoriale. «Changeant, ondoyant, divers» d’après un texte du IVe siècle, Hadrien marque un renouveau des études philosophiques, qu’il honore de sa sympathie, et des arts dans l’empire (retour du port de la barbe visible dans l’iconographie). Il manifeste aussi une rupture en voyageant dans l’empire, plus particulièrement en Orient, et en y illustrant une image de l’empereur évergète (bienfaiteur) des cités. Parant Rome de monuments dont un mausolée (actuel château St Ange), il fait également édifier le mur d’Hadrien en Bretagne, équivalent continu du limes germanique : l’espace de l’empire est symboliquement clos.

Après cet homme mouvant et actif, son successeur Antonin est présenté comme le tenant d’un «pouvoir sédentaire». Italien se liant aux familles espagnoles d’Hadrien et d’un de ses proches M. Annius Verus, il est souvent présenté comme l’empereur de l’âge de la stabilité, le discours d’Aelius Aristide «En l’Honneur de Rome» étant daté de son règne, en 144, et mentionnant une « felicitas saeculi» (bonheur des siècles). L’ouvrage discute ce point de vue : le règne d’Antonin comporte des interventions militaires ponctuelles, et des mesures défensives nécessaires comme la construction du mur d’Antonin, qui vient doubler le mur d’Hadrien en Bretagne. Par un jeu d’adoption une fois encore lui succèdent Marc Aurèle, remarqué dans sa jeunesse par Hadrien, et Lucius Vérus, qui décède rapidement, laissant Marc Aurèle exercer le pouvoir seul : l’empire est pour la première fois partagé entre deux Augustes. Si Marc Aurèle jouit de l’image d’un empereur philosophe, lié aux Stoïciens, et est présenté comme un modèle de stabilité, son règne est émaillé d’une reprise de conflits contre les Parthes, entaché par la « Peste Antonine » ramenée à ce moment d’Orient, peut être par des vétérans de ces nouvelles guerres parthiques. L’ouvrage discute des conséquences structurelles profondes, qui fragilisent l’économie de l’empire, de cette pandémie de nature encore débattue. La multiplication des fronts contre les Barbares sur le Danube et la tentative d’usurpation d’Avidius Cassius, répandant la nouvelle de la mort de l’empereur, en 175. Achevant ce chapitre avec la mort, réelle cette fois, de Marc Aurèle à Vindebona, sur le front danubien, les auteurs questionnent la stabilité réelle, répercutée dès le XVIIIe siècle par E. Gibbon puis E. Renan, de l’empire des Antonins. Pour eux, si la permanence des «réseaux familiaux» à la tête de l’empire fut un élément de stabilisation, la persistance des hostilités aux frontières montre qu’une construction historiographique d’un «âge d’or antonin» est à questionner, surtout au vu de la succession de Marc-Aurèle, qui renoue avec le modèle dynastique précédent, en faisant échoir le pouvoir au fils de ce dernier, Commode.

 Du temps des épreuves au temps de la maturité 180-212
Faisant ici encore le choix d’un redécoupage chronologique, les auteurs de l’ouvrage incluent Commode aux premiers Sévères. Le principat de Commode est dès lors introduit sous sa première image : celle d’une tyrannie renouant avec les modèles précédents, pouvoir excessif des affranchis favoris, comme Cléandre dès 185, et identification iconographique et discursive à un modèle divin de l’empereur, celui d’Hercule. L’empereur, qui se présente alors comme passionné de gladiature, renommant à son nom des unités militaires et qualifiant le sénat de « commodien », a une image de mégalomane excessive, répercutée dans l’historiographie et jusque dans le film « Gladiator » (1998). Cette rupture avec la modération paternelle lui suscita nombre d’ennemis, ce qui aboutit à son assassinat, impliquant trois comploteurs condamnés à mort par l’empereur, en 192.

Des périodes de guerre civile et d’instabilités qui suivirent, sortit vainqueur un officier africain, Septime Sévère. Le livre commente les déchirements des prétendants comme mettant en valeur « la force des armées provinciales ». Le candidat à l’empire doit se prévaloir du soutien de provinces entières et tenir Rome est l’étape finale de la course, non son préalable. Les guerres ont des conséquences sur les territoires : la Syrie, qui soutient la révolte de Pescennius Niger, est divisée en deux, Byzance qui avait soutenue l’usurpateur est privée de son autonomie civique. S’il assoit au départ sa légitimité sur celle des Antonins, allant jusqu’à se proclamer fils adoptif de Marc-Aurèle, Sévère change de discours avec la fin des guerres civiles, mettant en avant ses fils, Caracalla et Géta, et se présentant comme le « conservator orbis », conservateur du monde et de sa stabilité, à la tête d’une nouvelle « maison divine », marquant les espaces de l’empire de sa présence symbolique (arc de triomphe sur le forum, travaux d’envergure dans sa ville d’origine en Afrique, Lepcis Magna). La transmission du pouvoir à sa mort en 211 se fait de manière dynastique au prix d’un fratricide : Caracalla tue son jeune frère Géta et fait effacer son nom et son image.

Une historiographie datée a pu marquer l’époque sévérienne comme début d’un déclin sous la férule d’empereur afro-syriens (Iulia Domna, épouse de Sévère, était une Syrienne romanisée). L’ouvrage fait plutôt le choix d’indiquer alors un monde romain ayant atteint une « maturité », le choix des Sévère montrant l’intégration achevée des provinciaux aux sphères de pouvoir. De même, la « militarisation » du pouvoir impérial peut être discutée pour cette période : les augmentations de la solde militaire sous Sévère se justifiait par le fait qu’elle n’avait pas été augmentée depuis Trajan et déjà sous Auguste, le lien entre le princeps, ses prétoriens et ses légions était de mise. De même, lors de ses longs déplacements, Sévère rend la justice et s’exprime dans nombre de rescrits. Le travail des juristes de l’époque sévérienne, dont le préfet du prétoire Papien, jette les bases des compilations qui fixeront aux siècles suivants le droit romain, du Digeste aux Institutes de Justinien.

La conclusion de ces six chapitres événementiels est la Constitution Antonine ou édit de 212, donnant la pleine citoyenneté romaine aux habitants libres de l’empire sous Caracalla. Connu par plusieurs copies (dont le papyrus Giessen 40), il comporte des limites, même si l’historiographie a pu valoriser ce mouvement d’intégration unique dans l’Antiquité comme étant de portée purement humaniste. Ainsi, l’édit a surtout une portée fiscale, plaçant une vaste population sous un régime d’impôts unique en augmentation (le vingtième prélevé sur les héritages dès Augustes devient le dixième). De même, la citoyenneté ainsi octroyée est depuis longtemps « dépouillée de ses prérogatives politiques » pour la multitude, et l’égalité de tous les citoyens romains est discutée par la différence pénale déjà ancrée entre « honestiores » plus riches et « humiliores » très majoritaires. De même, cette citoyenneté unique renforce le rejet des extérieures à l’empire, on voit alors apparaître un terme unique et excluant de « barbaricum » pour toute terre hors du monde romain. Enfin, les projections contemporaines, où la chute de l’empire romain devient un miroir obsédant, tendent à idéaliser l’ouverture de 212, ce qui ne doit pas effacer sa dimension d’expérience « originale et diverse ».

I Guerre et paix dans l’Empire de Rome
Premier chapitre thématique de l’étude, celui-ci traite dès le départ de deux lieux communs : une Pax Romana plus complexe qu’il n’y paraît, et les diverses implications de l’armée dans la cité romaine. La première paix de la période est la Pax Augusta qui fait suite aux guerres civiles en -30. Il convient de rappeller qu’elle concernait les citoyens vivant dans l’empire, mais non ses voisins. La Pax Romana, idée construite à partir de documents comme le Panégyrique d’Aelius Aristide sous Antonin, connaît une fortune contemporaine : exaltée par l’historiographie française au XIXe comme ayant permis l’essor gallo-romain civilisé et justifiant une « paix française » dans les colonies. Elle servit à forger des concepts médiatiques contemporains comme celui de Pax Americana. De fait, au delà des mythes, l’empire connut une paix relative durant deux siècles, par rapport aux périodes précédentes et suivantes.

Il faut d’abord signaler que la guerre comme la paix sont entre les mains de l’empereur, dont la virtus militaire est une des premières attributions. Il hérite en cela de la distinction chez les magistrats républicains entre pouvoir civil (imperium domi) et pouvoir militaire (imperium militiae), les exerçant tous deux. De plus, la carrière militaire demeure encore sous l’empire un élément de promotion des élites sénatoriales et équestres. Le caractère divin des concepts de guerre et de paix est également à souligné : le but des rituels religieux est d’atteindre la pax deorum, paix avec les dieux qu’un sacrilège peut briser, engendrant des défaites. À ce titre, la guerre elle-même s’accompagne de sacrifices propiatoires et nécessaires pour qu’elle soit qualifiée de bellum iustum, de guerre juste. La pratique de la guerre se doit normalement d’être vertueuse, même si les généraux romains n’hésitent pas à tromper l’ennemi.

La paix quant à elle repose essentiellement sur le droit, sur la confiance (fides). Le voisin ou l’allié est lié a Rome par un foedus, traité en bonne et due forme. Aider un allié, comme le fit César pour défendre les Gaulois Éduens contre les Helvètes en -58. L’essentiel de cette activité diplomatique se fait à Rome, les Romains estimant souvent que c’était aux autres de venir à eux. Les étrangers sont accueillis dans des lieux témoignant de la grandeur de Rome, curie, temples, et reçoivent des garanties individuelles, octroi de la citoyenneté à des rois-clients, ou collectives, rang d’amis du peuple romain, promesses d’aide.

Abordant ensuite le recrutement militaire, l’ouvrage s’appuie sur une thèse récente, celle de François Cadiou («L’armée imaginaire», 2018) : les réformes de Caius Marius en -107 n’aurait pas ouvert le recrutement massivement aux prolétaires par le volontariat autant que pensé. De fait, les armées des imperatores de la fin de la République, dans le recrutement comme dans la motivation n’auraient pas été très différentes de celles des premiers siècles de la République. Auguste achève pourtant la professionalisation de l’armée, dont les vétérans se voient définitivement dotés d’argent et de terres, et où les auxiliaires toujours nombreux se voient octroyer la citoyenneté au sortir de leur service. La souplesse des légions assure la permanence de l’appareil militaire romain, qui croit jusqu’à 400 000 hommes au début de l’époque séverienne. Si les armées sont facilement mobiles, elles ont des cantonnements fixes, surtout autour de trois zones importantes : le limes danubien et l’Orient menacé par les Parthes. Ces frontières romaines sont ainsi incomplètement fortifiés, comptant sur un réseau de camps et de fortins davantages que sur des lignes fixes, le mur d’Hadrien étant une exception.

La guerre devient sous l’empire une « affaire de professionnels ». Si le recrutement est rapidement multiethnique, avec une dominante des provinces balkaniques à la fin de la période, l’armement et le recours à l’infanterie lourde comme pivot de l’armée demeurent homogènes. En temps de paix, cette armée est d’une grande polyvalence, garde frontière, garante de l’ordre dans les provinces, participant aux travaux publics avec ses spécialités d’intendances, et surtout soutien du pouvoir impérial, rémunéré et acheté par des donativa en numéraire. Les militaires ont des rapports étroits aux civils, certaines villes de garnisons passant du simple camp au centre urbain attirant commerçants et artisans, ce qui ne va pas sans abus, comme en témoigne de nécessaires arbitrages impériaux.

Les Romains et le Monde
Les Romains eux-même ne parlaient que d’empire romain, pas de monde romain, le monde ne se limitant pas à cet empire. Pourtant, l’idée d’un « empire sans fin » (Virgile, l’Énéide), héritier de l’oikoumènè grec et la figure de l’empereur comme cosmocrator illustre cette volonté de centralité, de se penser comme première puissance d’un monde aux limites africaines et asiatiques mal connues. L’idée d’empire elle-même est liée au pouvoir, à l’imperium, l’empire étant donc toute terre où l’empereur et les Romains ont pouvoir.

L’empire lui même suit une « organisation concentrique ». L’Italie, réorganisée en 11 régions numérotées par Auguste. L’empereur y nommait directement des légats de rang prétorien. Le reste des provinces se divisaient en deux catégories. Il y avait d’abord les provinces « du peuple romain », dont le gouverneur était choisi par le sénat parmi les « promagistrats » ayant exercé le consulat et la préture comme à l’époque républicaine, pacifiées et dépourvues de garnisons. Dans les provinces impériales, le gouverneur n’était nommé et révocable que par l’empereur, pour une durée indéterminée. Ce système reste stable, malgré la division de certaines provinces frontalières (le long du Danube) ou anciennement révoltées (la Syrie sous Septime Sévère). Des rois-clients bordent les provinces frontalières, souvent citoyens romains à titre personnel, baptisant ou rebaptisant des villes en l’honneur de l’empereur (Césarées) et laissant au bout de quelques génération leurs royaumes à l’administration directe de Rome, souvent en testament. Les buts sont doubles : recherche de marchandises exotiques (ambre en Baltique et en Germanie par exemple) et conquêtes potentielles (Maurétanie). Après la prise d’Alexandrie, le commerce entre Rome et l’Inde connaît une croissance exponentielle, des échanges d’ambassade entre Rome et la Chine des Han étant attestés.

Ces découvertes donnent lieux à l’élaboration de savoirs géographiques sans précédents, qu’ils prennent la formes de chorographies ou description des lieux (Strabon, Pline) ou de cartographies et d’itinéraires (Claude Ptolémée, stations parthiques d’Isidore de Charax). Ces savoirs pouvaient guider les voyages mais avaient aussi un but administratif de connaissance des provinces et de leurs richesses imposables.. Un contrôle strict de l’empire et de ses territoires par des outils (recensements, cadastrage) permet de taxer la population selon des modalités qui évoluent au fil du temps, mais aussi d’imposer la justice de l’empereur et l’idéologie impériale à toutes échelles, entre autres par la circulation libre des biens et des informations (réseau des voies romaines).

 Vivre dans l’empire des Césars
Ce chapitre débute en évoquant des problèmes méthodologiques certains : malgré l’existence de recensements, connaître la population de l’ensemble de l’empire est une gageure, car aucun de ces comptes n’a été fait à l’échelle globale de l’empire. Des estimations liées entre autres à l’annone (blé distribué gratuitement ou à peu de prix) permettent par contre d’estimer que Rome comportait à peu près un million d’habitants sous l’empire. On ignore cependant avant 212 la proportion de citoyens et d’étrangers ou d’esclaves parmi ces habitants. Il est toutefois sûr que la mortalité était conséquente à tous âges, soixante ans étant considéré toutefois comme le seuil de la vieillesse. Cette mortalité était sûrement due aux diverses formes de « fièvres », dans lesquels les Romains classaient ce qu’on sait aujourd’hui être le paludisme, le typhus, la malaria, dues à l’humidité du climat méditerranéen. On peut également y associer les maladies intestinales causées par des infections alimentaires et les épidémies régulières. Pour braver cette mortalité, la fécondité était forte.

Les densités étaient variables : faibles dans les provinces éloignées de la Méditerranée et les environnements hostiles (désert, montagne alors vue comme un loccus horridus), fortes dans les vallées fluviales et les zones cotières. Hors des quelques centres urbains, l’empire est très majoritairement un monde de campagnes et de petites villes. Les rapports entre ville et campagne vont dans le sens d’une inféodation à la ville, exigeante en approvisionnement de denrées de base (blé, vin, huile). La viticulture et l’oléiculture étaient les cultures commerciales par excellence, devenant spécialités de provinces entières, permettant de dégager des surplus monétaires nécessaires au paiement des loyers et de l’impôt pour la petite paysannerie. La circulation de la céramique et des amphores (dont les types et les timbres de fabricant ont fait l’objet de travaux abondants) montre le poids des échanges à l’échelle de la Méditerranée dans un empire qui rompt le cadre autarcique. Même si les temps de trajets sont raccourcis par les auteurs antiques, la circulation des biens se fait et avantage certaines provinces très largement (l’Italie et les provinces périphériques surtout selon le Taxes and Trade model proposé par l’historien Keith Hopkins, les provinces intermédiaires ayant du batailler pour s’adapter.

Ces flux commerciaux causaient une grande mobilité : les déplacements se faisaient aisément, sur un réseau dense de voies parsemées d’auberges dont les comédies et des inscriptions comme la stèle d’Aesernia dépeignent comiquement le quotidien. Cette mobilité des personnes s’atteste par l’épigraphie : nombre de villes de l’empire ont des résidents étrangers (Syriens de Lyon). Si le grec et le latin font figure de ferments d’unité, les langues vernaculaires (gaulois, punique..) survivent jusqu’au Ve siècle. Dans ce contexte de brassage, les religions se rencontrent dans les deux sens, dans le cadre d’un polythéisme tolérant : les interprétations locales de dieux gréco-romains cotoient les syncrétismes avec d’autres divinités (Saturne Africain, Jupiter Taranis en Gaule…). C’est par ce monde de circulations naturelles et aisées que s’explique l’expansion relativement rapide des cultes orientaux (Grande Mère, Isis, Mithra) puis du christianisme.

Le développement se divise en 14 chapitres : les 6 premiers recouvrent une chronologie allant de 70 av. J.C au IIIe siècle, les 5 suivants privilégiant des approches plus thématiques et les 3 derniers faisant une plongée dans l’historiographie «romaniste» de préférence récente et évoquant les débats et outils d’aujourd’hui dans cette spécialité. Cette présentation succincte suivra l’ordre des chapitres.

 Hiérarchies et relations sociales dans l’empire romain
Si en apparence, l’empire romain est composé d’une « mosaïque de sociétés locales », ces sociétés participent toutes d’un même ensemble social avec ses stratification. La première distinction à faire est celle entre hommes libres et esclaves. Ces derniers sont présents dans l’empire mais forment tout de même une minorité (qui peut être forte à certaines périodes et en certains endroits, comme en Italie du fait du flux de captifs après les conquêtes). La seconde distinction est celle entre citoyens romains (eux en minorité relative jusqu’en 212) et pérégrins, non-citoyens libres de l’empire. Ces derniers se romanisent de manière croissante : emploi de la langue latine et des habitudes quotidiennes des conquérants.

L’organisation censitaire met rapidement en valeur des catégories supérieures de la population, ou « ordres » sur la base de la fortune. Le patriciat républicain laisse la place aux « sénateurs » sous Auguste, l’ordre équestre des « chevaliers » se maintient. Les Italiens y demeurent majoritaires, la plupart des sénateurs ayant des attaches en Italie et dans une province bien choisie. L’ordre équestre s’ouvre le premier aux provinciaux. Dans les cités de province, les seuils financiers pour exercer des magistratures locales, apanage de l’ordre des « décurions » sont changeants en fonction des lieux. La grande pauvreté est jugée sévèrement par les élites, comme marque d’indignité. Entre les deux, une « stratification » fine s’établit entre corps de métiers et niveaux sociaux, avec l’émergence d’une « plebs media » (Pline l’Ancien), véritable classe moyenne de l’Empire. Dans le cadre des cités provinciales, les rapports entre classes sociales font état d’une stratification forte mais aussi de relations bien codifiées : protection d’un « patron » important accordée à la masse de ses « clients » qui le soutiennent dans ses procès et ses menées politiques, fonctionnements associatifs visibles de haut en bas de la population. La présence de classes marginales, esclaves fugitifs, ruraux trop isolés puis chrétiens, se signale par la non-participation aux rites religieux et sociaux du maillage civique dense de l’empire.

 Les deux patries : citoyenneté et adhésion à l’empire
L’empire romain se distingue dans le monde antique par une imbrication d’échelle des identités, Cicéron parlant de « grande et petite patrie ». À l’échelle locale, l’identité du citoyen d’une communauté dépend de son statut : municipe (toute l’Italie est municipalisée dès les années -80), colonies, cités se voyant accorder le droit romain ou le droit moindre des Latins, et simples cités pérégrines. Du point de vue individuel, l’obtention de la citoyenneté romaine se fait en s’associant à la conquête ou aux autorités romaines, elle est prisée par nombre d’élites locale.

À strictement parler, on ne peut parler de double citoyenneté sous l’empire, car la citoyenneté romaine reste plus englobante et supérieure aux citoyennetés locales. L’empire fit naître de même de nouvelles communautés de citoyens romains : en Espagne, Gadès et Ulia reçoivent le droit latin, conférant la citoyenneté à leurs habitants, sous la dictature de César. De nombreuses colonies militaires sont ainsi fondées dans tout l’empire naissant par César puis Octave Auguste, ancrant les vétérans citoyens dans les provinces, mais diffusant également autour d’elles une aspiration au droit latin et à la citoyenneté. Les cités provinciales rivalisent entre elles pour atteindre progressivement un statut légal supérieur.

Les cités provinciales inter-réagissent de différentes manières avec le pouvoir impérial : en lui envoyant des ambassades pour lui demander des secours en cas de difficultés particulières (tremblements de terre sous Hadrien en Asie mineure) ou un arbitrage, en honorant les gouverneurs et représentants du pouvoir impérial, mais aussi en célébrant la venue de l’empereur lui-même lors de leurs voyages. Le culte impérial, même si cette notion est floue dans la pratique et pas forcément distincte des cultes usuels, est également un ferment de lien entre l’empire et les collectivités locales. Des collèges de prêtres (sevirs augustaux souvent) sont nommés dans chaque communauté parmi les locaux pour assurer ce culte, qui est organisé par des associations de plusieurs cités à l’échelle de fractions ou de totalités de provinces (koina en Orient, concilia en Occident). De manière générale, l’intégration fut à la fois « puissante et inégale » selon les lieux, bénéficiant surtout aux notables. L’édit de Caracalla de 212 semble être l’aboutissement logique du processus mais est en fait une rupture de cet ordre stratifié.

 

« L’Atelier de l’Historien »
Les trois derniers chapitres de l’ouvrage viennent succéder à la grande densité des six chapitres événementiels et des cinq chapitres thématiques qu’il comporte.

Le chapitre XIII traite de la notion, souvent évoquée, de romanisation. Datée du XIXe siècle, elle est chez l’allemand Mommsen traitée comme « principe de civilisation », chez l’anglais Haverfield un principe précurseur et justificateur des empires coloniaux européens, principalement l’empire britannique. En fait, c’est un phénomène à reconsidérer : il y aurait eu des romanisations différentes selon les provinces (J. Webster parle en 2001 de « provinces créoles ») et les cultures indigènes et des résistances à la romanisation (comme celle que le français M. Bénabou évoque dans un ouvrage éponyme pour l’Afrique en 1976). La force de dynamiques culturelles locales pré-romaines dans la religion, la langue, la culture (l’exemple des provinces grecques et orientales est significatif) demeure vive. Sur le terrain, les processus sont polymorphes, découlant soit de la volonté de l’envahisseur romain qui implante colonies et monuments, soit de l’adhésion volontaire des provinciaux. Paul Veyne parlant même d’empire « gréco-romain », cela questionne le terme de romanisation. Dans les années 2000, des historiens comme Richard Hingley prônent même un abandon du concept de romanisation. D’autres comme les français M. Dondin-Payre et Xavier Loriot s’inscrivent en faux contre cette théorie, étant attentifs à la forte municipalisation des cités de l’empire. Pour les auteurs de l’ouvrage qui nous concerne, le concept demeure opérant et nécessaire à l’intelligence des échelles de l’empire romain, même s’il faut le critiquer et être attentifs aux débats historiographiques qu’ils détaillent, tout comme aux concepts plus nouveaux de créolisation, d’hybridation et d’indigénisme.

 

Le Chapitre XIV traite d’un des principaux outils de l’Historien romaniste, l’épigraphie. Science des inscriptions sur pierre ou sur d’autres supports, elle permet de comprendre l’empire et ses discours de pouvoirs comme la vie de particuliers par des « instantanés ». Louis Robert, spécialiste de l’Asie mineure hellénistique et romaine, insiste sur l’omniprésence forte de l’écrit gravé, avec des inscriptions bien plus visibles qu’aujourd’hui (souvent repassées en rouge) dans le paysage des cités. Le chapitre s’assortit de détails sur l’édition contemporaine des sources épigraphiques, sérieusement débutée en Allemagne au XIXe et d’encarts biographiques sur les grands épigraphistes français, parmi lesquels H.G Pflaumm, qui a contribué à une connaissance pointue des carrières administratives et militaires des élites dans le cadre de l’empire. Cet instantané de l’épigraphie a toutefois ces limites, celles de l’expression parvenue jusqu’à nous. Ainsi, l’ouvrage distingue bien la « population épigraphique » de la « population réelle ».

 

Le chapitre XV enfin interroge la place du Romaniste et de l’Histoire romaine aujourd’hui, faisant figure de brillante conclusion à un ensemble dense, ainsi que les nouveaux outils disponibles. Dans le cadre d’une histoire plurielle, où la forme des empires et leurs déclin interrogent nos sociétés actuelles, l’histoire romaine se signale également par son croisement des sciences : archéologie, philologie, histoire conceptuelle parmi tant d’autres. En archéologie, les progrès de la chimie et des systèmes d’information géographique (ainsi que de la reconstitution 3D de site comme Palmyre ravagée) enrichissent une longue histoire de progrès successifs. En termes d’épigraphie et de philologie, le développement des « Humanités numériques » permet un accès accru aux catalogues et aux publications disponibles, ainsi qu’un travail bien plus fin sur l’intertextualité des sources. Le chapitre s’achève sur un encart humoristique évoquant la journée d’un Romaniste « connecté » actuel, au rythme des mails et des vicissitudes de la vie universitaire, une belle mise en abyme pour clore le rideau.

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Recension de Guillaume Rageau
Dernier paru dans la collection « Mondes Anciens » des éditions Belin, cet ouvrage a été supervisé par Catherine Virlouvet, directrice de l’École française de Rome, et rédigé par Nicolas Tran et Patrice Faure, respectivement enseignants à l’université de Poitiers et à l’université Jean-Moulin Lyon 3.

« Rome, cité universelle » constitue le premier élément d’un ensemble de trois ouvrages dont deux sont encore à paraître. Ce premier tome traduit la volonté des auteurs d’axer leur propos autour de la question de la citoyenneté. Il couvre la période s’étendant de 70 av. J.-C. à 212 de notre ère, depuis le recensement ouvrant le corps civique romain aux Italiens consécutivement à la Guerre Sociale (91-89 av. J.-C) jusqu’à la Constitution antonine (ou édit de Caracalla) attribuant la citoyenneté à tous les hommes libres de l’Empire.

L’ouvrage est divisé en 11 chapitres dont les six premiers suivent un fil chronologique. L’objectif est de montrer les multiples adaptations d’un modèle politique et civique face à des contextes changeants, avec comme période charnière le principat d’Auguste. Les premiers chapitres abordent les Guerres civiles nées de l’opposition de César et de Pompée, puis d’Octavien et de Marc-Antoine, une période de crise qui porte en elle les germes d’un renouveau. L’émergence de la figure de l’homme providentiel ou encore la prétention à une domination universelle affirmée par Pompée forment un héritage qu’Auguste parvient ensuite à faire fructifier. Se présentant comme un refondateur, le premier empereur de Rome est par bien des aspects un continuateur.

Après lui, les règnes des empereurs sont analysés et replacés dans leur contexte. La question de la transmission du pouvoir a particulièrement intéressé les auteurs. Les fins de règnes peuvent se traduire, en cas de difficultés, par un changement dynastique comme cela se produit en 69 lorsque les Flaviens s’emparent du pouvoir ou en 193 avec l’avènement des Sévères. A chaque fois, des arbres généalogiques apportent la clarté nécessaire au lecteur pour se repérer dans les ramifications complexes engendrées par les politiques matrimoniales du milieu impérial.

Les cinq chapitres suivants sont thématiques (Guerres et paix dans l’Empire romain, Les Romains et le monde, Vivre dans la Rome des Césars, Hiérarchies et relations sociales dans l’Empire romain, Les deux patries : citoyenneté et adhésion à l’empire). Ils permettent d’aborder des questions transversales et de réévaluer certains aspects ou concepts telle que la paix romaine qui tend à masquer des formes d’instabilité et de contestations, ou de revenir sur la prolétarisation des légions longtemps attribuée à Marius.

Chacun de ces chapitres comporte des éclairages sous forme d’encadrés faisant le point sur des thèmes particuliers tels que les contacts entre Rome et la Chine (p. 510), Rome et le judaïsme (p. 622) ou encore la modification de l’environnement liée à l’expansion et à la domination romaines (p. 655), autant de thématiques qui reflètent les évolutions historiographiques récentes.

Comme l’éditeur nous y a habitué depuis sa collection « Histoire de France », la dernière partie de l’ouvrage est consacrée à « l’atelier de l’historien » qui propose des approfondissements sur des points précis. Cela offre l’opportunité de revenir sur le concept de romanisation qui a fait l’objet de bien des critiques. Si ce concept n’est pas indispensable selon les auteurs, il ne faudrait pas que son abandon se traduise par un appauvrissement de la grille de lecture de l’historien. Un autre éclairage porte sur l’épigraphie dont l’importance est soulignée pour la construction historique de la période antique. Le dernier thème nous confronte aux évolutions technologiques qui bouleversent le métier d’historien avec le développement de l’imagerie scientifique, l’utilisation du géoradar, autant d’innovations qui contribuent au renouvellement de la discipline. Ces technologies permettent de trancher certains débats anciens, mais les auteurs soulignent que cela doit s’accompagner d’un indispensable renouvellement des questionnements afin de « faire du neuf avec du neuf » (p. 808).

Cet ouvrage, à la fois clair et détaillé, ouvre une très belle porte d’entrée sur l’histoire romaine en couvrant un champ large sans jamais perdre le lecteur dans des détails inutiles. Les illustrations, nombreuses, variées et de grande qualité, permettent d’incarner le propos par des documents célèbres et presque attendus comme la statue d’Auguste dite de Prima Porta, mais aussi par d’autres beaucoup moins connus qui raviront tous les lecteurs y compris les plus initiés.

Source : https://clio-cr.clionautes.org/rome-cite-universelle-de-cesar-a-caracalla-70-av-j-c-212-apr-j-c-2.html

L'ouvrage de référence sur la fin d'un empire multiséculaire

En 212, l’empereur Caracalla accorde la citoyenneté romaine à tous les habitants libres de l’Empire. Cette mesure couronne une évolution séculaire vers un empire politiquement unifié et culturellement universel.

Près de trois siècles plus tard, l’avènement du roi ostrogoth Théodoric marque la fin d’un processus au terme duquel les provinces occidentales et l’Italie elle-même ont échappé à l’administration impériale. En Orient, Constantinople est la capitale d’un Empire romain désormais byzantin.

La période qui se déploie dans cet ouvrage est le cadre d’impressionnantes transformations : la fin d’une société d’ordres, l’implantation de populations exogènes, la déconstruction politique de l’Empire, la diffusion du christianisme devenu religion impériale, la vitalité maintenue d’une culture latine qui produit les grandes œuvres d’Ammien Marcelin ou de saint Augustin…

L’Antiquité tardive est aujourd’hui le sujet de vifs débats entre les historiens, certains tenant au « déclin de la civilisation » et d’autres évoquant la notion moins pessimiste de transition. Nourri des études les plus neuves, ce livre restitue, loin des clichés et des idées reçues, toute la richesse et la complexité de ces années tourmentées : il interroge la notion de crise qui se révèle d’une singulière fécondité, notamment par l’inventivité mise en œuvre pour maintenir, voire renforcer l’unité de l’Empire confronté aux pires menaces intérieures et extérieures.

En plus de 650 pages richement illustrées, Claire Sotinel, spécialiste de l’Antiquité tardive, retrace, au plus près des événements, la longue histoire, entièrement revisitée, de cette fin de l’Empire romain qui ne fut pas une agonie mais bien plutôt une effervescente recomposition politique, économique, sociale et culturelle.

Source : https://www.belin-editeur.com/rome-la-fin-dun-empire

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Dominique RECH